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Candidature de Ouattara: la boite de Pandore désormais ouverte

Le décès du Premier ministre ivoirien Gon Coulibaly et la démission du vice-président Daniel Kablan Duncan, apparemment pour des raisons personnelles, ont ajouté de la chaleur aux contestations sur les élections présidentielles prévues en octobre de cette année.

Coulibaly était le successeur choisi de l’actuel président, Alassane Ouattara. Son décès a ravivé les inquiétudes concernant une éventuelle troisième candidature présidentielle de M. Ouattara, qui, selon les commentateurs, pourrait conduire à l’instabilité politique.

La Côte d’Ivoire devait connaître son tout premier changement de pouvoir démocratique et pacifique, suite à l’annonce faite par Ouattara en mars qu’il se retirerait à la fin de son mandat actuel. La mort de Coulibaly a rouvert une boîte de Pandore.

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Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix a demandé à Ouattara de se présenter pour un troisième mandat, suite au décès de son successeur préféré, selon le directeur exécutif du parti, Adama Bictogo

Ouattara (78 ans) s’est demandé s’il allait briguer un troisième mandat. Il pourrait être tenté de reconsidérer son départ promis pour se donner le temps de préparer un nouveau successeur.

À mon avis, il ne devrait pas le faire. Ouattara a obtenu de bons résultats économiques. L’économie ivoirienne a connu une croissance supérieure à 8 % entre 2011 et 2018, devenant ainsi l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique subsaharienne. Rester au pouvoir pourrait signifier poursuivre cette tendance. Mais cela aura des conséquences désastreuses sur la trajectoire démocratique du pays. L’instabilité politique et sécuritaire potentielle que son retour pourrait déclencher ne ferait que défaire ce qu’il a accompli.

Ambiguïté constitutionnelle

Lorsque M. Ouattara est arrivé au pouvoir en 2010, la constitution ivoirienne prévoyait une limite de deux mandats pour la candidature à la présidence. Pendant sa campagne électorale présidentielle de 2015, il a promis de mener l’adoption d’une nouvelle constitution. Il s’agissait principalement d’abolir le principe de l’« ivoirité », qui servait à exclure de la haute fonction les individus originaires du nord musulman.

Ils étaient ostensiblement exclus en raison de leurs liens supposés avec les pays voisins. Elle a été utilisée de manière infâme pour exclure Ouattara, lui-même originaire du Nord musulman, de la course à la présidence dans les années 1990.

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Une nouvelle constitution approuvée par référendum en octobre 2016 a résolu le problème de l’ivoirité. Selon la nouvelle constitution, un candidat à la présidence n’a plus qu’à démontrer qu’il est exclusivement ivoirien, né d’un père ou d’une mère ivoirien(ne) de naissance.

Selon l’ancienne constitution, les deux parents devaient être ivoiriens de naissance. La nouvelle constitution a également introduit un nouveau sénat et un poste de vice-président.

Ce qui est peut-être le plus important dans la nouvelle constitution, c’est ce qu’elle ne dit pas. Elle maintient la limite de deux mandats pour les candidats à la présidence, mais ne dit rien sur les mandats exercés avant son adoption.

Exploitant cette ambiguïté, M. Ouattara a déclaré en juin qu’il pouvait se présenter pour deux autres mandats.

Il a par la suite déclaré qu’il se retirerait à la fin de son mandat en octobre 2020 – mais à condition que les autres membres de la vieille garde abandonnent également leurs aspirations présidentielles. Il faisait référence à l’ancien président et actuel rival Henri Konan Bédié. Bédié (86 ans), un adversaire historique de Ouattara, a fait éclore et a poursuivi la campagne « Ivoirité » lors de son premier mandat présidentiel au début des années 1990.

Avant cette décision, Ouattara a porté plainte contre Guillaume Soro, un ancien rival allié et aspirant à la présidence.

Suite à une déclaration de son intention de se présenter à la présidence, Soro a été accusé et condamné à la hâte pour détournement de fonds pour des événements remontant à 2007.

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Nombreux sont ceux qui ont considéré que les poursuites étaient motivées par des raisons politiques. Soro étant effectivement hors course, Coulibaly était prêt à assurer la victoire du RHDP, et à maintenir le cap que Ouattara avait tracé.

Contre un troisième mandat

Avec la démission du vice-président, M. Ouattara a dû faire face à la difficulté de soutenir un visage moins connu. Cela pourrait déclencher des batailles de succession et des divisions potentielles au sein de sa coalition au pouvoir, ainsi qu’une perte électorale potentielle. L’opinion du parti selon laquelle il devrait briguer un troisième mandat semble y mettre un terme.

Mais, en cherchant un troisième mandat, il se priverait de la possibilité de laisser un bon héritage d’un meilleur fonctionnement démocratique, d’une alternance pacifique du pouvoir et d’une reprise économique.

Il est crucial qu’une nouvelle candidature présidentielle soulève des complexités juridiques et puisse aggraver l’instabilité et l’insécurité à un moment où le terrorisme se développe dans la région du Sahel.

Une troisième candidature présidentielle à Ouattara provoquera presque certainement des contestations juridiques en raison de la limite constitutionnelle de deux mandats.

Comme tous les juges de la Cour constitutionnelle ont été nommés sous le règne de M. Ouattara, une telle affaire constituerait un test de leur indépendance. Il existe un précédent à cet égard.

En 2012, les tribunaux du Sénégal voisin ont décidé qu’une nouvelle constitution remettait à zéro le nombre de mandats, permettant ainsi au président de l’époque, Abdoulaye Wade, de se représenter, ce qui a suscité de sérieuses critiques de la part de l’opposition, qui a invoqué la complaisance judiciaire.

Afin d’éviter une telle perspective, le projet de constitution de la Gambie comprend une disposition spécifique sur le comptage des mandats servis avant la nouvelle constitution. Si elle est adoptée, la Gambie serait la première en Afrique à suivre cette tendance.

Quel que soit le résultat, l’esprit de la limite de deux mandats dans la constitution ivoirienne et l’entente générale au moment de la rédaction de la constitution était contre le fait d’avoir des présidents à vie.

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Plus sérieusement, un troisième mandat pour Ouattara pourrait aggraver les risques d’instabilité politique. Déjà, l’exclusion pratique de Soro et le retour potentiel de l’ancien président Laurent Gbagbo, récemment acquitté de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale, ainsi que la rivalité historique de Ouattara avec Bédié, ont créé une atmosphère politique potentiellement explosive. En conséquence, l’élection présidentielle pourrait intensifier la contestation et la rivalité interrégionales.

Rôle de l’Union africaine et de la CEDEAO

Compte tenu de leur mandat de promouvoir la stabilité et la démocratie, l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devraient suivre de près l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire. Compte tenu des risques, il serait souhaitable qu’elles adoptent une approche proactive plutôt que réactive.

L’Union africaine et la CEDEAO feraient bien de pousser activement M. Ouattara à laisser un bon héritage, non seulement pour son pays mais aussi pour le continent.

Adem K. Abebe

L’auteur est un conférencier et chercheur au International Institute for Democracy and Electoral Assistance, Université de Pretoria

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